Quand les images se superposent…

Hier, vers 15 heures, j’arrivais à Jérusalem, et j’ai été témoin d’une scène qui m’a profondément bouleversée. Je n’avais pas envie d’être là à ce moment-là. Je n’avais pas envie de voir, de mes propres yeux, des trams et des bus stoppés par des manifestants protestant contre la loi de l’enrôlement à l’armée. Peu importe ce que j’en pense, pour ou contre, ce n’est même pas la question. Ce qui m’a bouleversée, c’est la violence de la scène. Et aussi les paroles échangées autour de moi, dans ce transport en commun, des paroles que je n’avais pas envie d’entendre.
Pourquoi Hachem a voulu que je sois témoin de cela ? Quelle leçon dois-je en tirer ? Je suis restée avec cette question, avec ce bouleversement qui m’a empêchée d’être présente à ma journée, d’agir avec clarté.
Puis, ce matin, les images déferlent. La procession immense, tout un peuple qui se lève, qui accompagne, à sa manière, Shiri, Kfir et Ariel, les kédoshim vers leur dernière demeure. Une mer d’orange. Et je ne sais pas pourquoi, mais je me souviens d’une vidéo qui, chaque fois, me bouleverse et me fait pleurer. Celle des jeunes filles avant l’évacuation du Goush Katif.
L’été 2004. Moi qui avais grandi en France, dans une petite ville de Province, je n’avais jamais rien vu de tel. J’étais au lycée et j’avais décidé de passer mon été en Israël. Partout, des jeunes vêtus d’orange manifestaient contre l’évacuation du Goush Katif décrétée par le gouvernement. Des bracelets, des stickers, des t-shirts, des rassemblements aux stations-service, sur les routes, partout. Je ne comprenais pas tout, mais c’était impossible de ne pas être marquée par cette vague humaine.
Et aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, mon esprit fait le lien entre ces deux moments. Et surtout, je trouve enfin les mots pour exprimer cette douleur :
“תְּפִלָּה לְעָנִי כִי־יַעֲטֹף”
Une prière du pauvre lorsqu’il est abattu. (Psaume 102)
Ce pauvre, cet ani, qui ne trouve même plus les mots, qui est accablé, englouti par la souffrance, enveloppé dans la prière. Cette prière d’un cœur démuni, qui ne sait même plus comment exprimer sa douleur. יַעֲטֹף, c’est être submergé, c’est être évanoui de tristesse, מתעלף. C’est cette sensation de vide qui aspire tout en nous.
“וְלִפְנֵי ה’ יִשְׁפֹּךְ שִׂיחוֹ׃”
Il déverse sa peine devant Hachem.
Devant Lui, devant Ses yeux. Sur Sa terre. La Terre qu’Il ne quitte pas du regard. Et pourtant, c’est là que nos cœurs se brisent. Mais c’est aussi devant Lui seul que cette douleur peut être entendue. Il est le seul à même d’en comprendre l’ampleur.
Alors, que nous reste-t-il à faire ?
ה’ שִׁמְעָה תְפִלָּתִי וְשַׁוְעָתִי אֵלֶיךָ תָבוֹא׃
Éternel, écoute ma prière, et que mon cri parvienne jusqu’à toi!

Crier vers Lui.
Savoir que notre prière sera entendue.
Parce qu’avoir de la émouna, ce n’est pas ne pas ressentir la douleur. La douleur est vive, insupportable, terrible. Mais la émouna, c’est savoir que tout vient de Lui et que tout est fait avec justesse, même quand on ne comprend rien … ou justement quand on ne comprend rien…
Et pourtant, la seule chose que nous demandons, c’est :
“אַל תַּסְתֵּר פָּנֶיךָ מִמֶּנִּי בְּיוֹם צַר לִי”
Ne me cache pas Ta face au jour de ma détresse.
Nous vivons un temps de hester panim, un temps où le visage divin est voilé. Et voilà que nous approchons de Pourim, la fête où l’on lit la Meguila d’Esther, où tout miracle est caché.
Alors ma prière, c’est que, dans cette douleur qui nous accable, Hachem écoute nos cœurs brisés. Qu’Il se dévoile à nous. Que nous puissions comprendre chaque douleur, assembler les morceaux du puzzle et enfin trouver l’apaisement dans la émouna que nous avons en Lui.

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