
Réouven Chicheportiche H”yd, héros d’Israel
Je m’appelle Anna. Je suis une jeune fille française qui a fait son alyah il y a 1 an, et qui aujourd’hui étudie dans un programme pour jeunes filles francophones en Israël. Ce soir, pour Yom Hazikaron, nous avons assisté avec notre groupe à une soirée de mémoire. Une soirée comme il y en a des centaines dans tout le pays. Mais celle-ci, je ne l’oublierai jamais.
Yom Hazikaron, c’est la journée où Israël s’arrête pour se souvenir. Chaque nom tombé pour la défense du pays devient une lumière dans l’âme collective. Cette soirée-là, ce n’était pas une cérémonie publique. Ce n’était pas une grande production. C’était une tante, Dominique, debout devant nous, entourée de personnes qu’elle ne connaissait pas, et qui nous a parlé de son neveu, Réouven Chicheportiche.
Je ne connaissais pas Réouven. Mais en sortant, j’avais l’impression d’avoir grandi avec lui.
Réouven est né en France, le 25 décembre 1986, de Brigitte et Éric. Il est monté en Israël en 1992 avec sa famille. Il était l’un des six enfants : Sarah, Élishéva, Hillel, Betsalel, Myriam, et lui. Il a grandi comme tant d’enfants dans les familles juives de France, mais il a vécu comme peu le font.
En Israël, il a grandi à Jérusalem et s’est très vite porté volontaire à Maguen David Adom, offrant son soutien avec un dévouement rare. Plus tard, il s’est marié avec Tsofiya, et ensemble ils ont construit une maison, une famille, une vie. Quatre enfants : Beer, Shaked, Eytan Haim, et Sinai. Réouven travaillait dans le bâtiment, un homme aux mains d’or, mais surtout, c’était un homme de cœur.
Et le 7 octobre 2023, jour de Simhat Torah, quand les alarmes ont retenti dans tout le sud du pays, il a quitté sa maison, ses enfants et sa femme, pour aller sauver d’autres familles.
La tante de Réouven n’a pas versé une larme en nous parlant. Sa voix était calme. Par moments, elle s’arrêtait pour reprendre son souffle, mais jamais elle ne s’est effondrée. Elle nous a dit : « Réouven est tombé en héros. Et il est tombé en fidèle. Fidèle à sa mission, à son peuple, à sa foi, à sa terre. »
Ce jour-là, des terroristes de Gaza ont attaqué le yishouv Pri Gan, un petit village agricole dans la région d’Eshkol. Réouven vivait à Shlomit, tout près. Lui, chef de la brigade d’intervention locale, a compris que ce n’était pas une alerte comme les autres. Il a dit à sa femme : « Ce ne sont pas que des roquettes. Il y a eu une infiltration. » Et il est sorti, armé, rejoindre les autres membres de sa brigade.
À Pri Gan, les habitants n’avaient pas de groupe de sécurité actif. Ils ont appelé à l’aide. Réouven et d’autres hommes de Shlomit se sont portés volontaires. Ils n’ont pas hésité une seconde. Ils ont fait barrage. Ils ont combattu. Grâce à eux, aucun habitant de Pri Gan n’a été tué ce jour-là. Les terroristes, surpris par la résistance, ont fui en moto, laissant leurs armes, leurs cartes, leurs chaussures. Ils n’ont pas pu continuer leur massacre.
Mais Réouven, lui, n’est jamais revenu.
À la maison, Tsofiya l’attendait avec leurs enfants. Elle nous a raconté qu’il lui avait promis de revenir s’il y avait une autre alerte. Elle l’a vu pour la dernière fois quand il a fermé la porte derrière lui, en lui disant qu’il partait juste pour vérifier.
À 9h11, elle lui a envoyé un message : « On peut sortir du mamad ? » Une seule coche. Il ne l’avait pas lu. Elle ne savait pas que cinq minutes plus tôt, il avait été tué.
Dans la soirée, une femme de l’équipe d’urgence du yishouv est venue lui dire qu’il avait été blessé et évacué. C’était faux. La vérité, elle l’a apprise plus tard : Réouven était tombé sur le champ de bataille, en défendant un autre village.
À travers les mots de sa tante, j’ai découvert un homme d’une noblesse rare. Un homme qui vivait déjà comme un héros, longtemps avant d’être reconnu comme tel. Un homme qui prenait le temps d’aider n’importe qui, un voisin en panne, un passant dans le besoin. Un mari présent, un père aimant, un fils respectueux, un frère fidèle.
Son père, Éric, a lui aussi pris la parole un jour, dans une autre commémoration. Il a dit : « Nous avons vécu une année à essayer de comprendre que cela nous est vraiment arrivé. Le monde a changé pour nous. Mais la Torah, elle, ne change pas. Je veux rester ‘Hatan Torah’. Je veux danser à Simhat Torah, même si c’est la date où j’ai perdu mon fils. »
Ce courage-là, ce n’est pas du déni. C’est une foi profonde. Celle qui voit l’histoire au-delà de la douleur.
Aujourd’hui, les enfants de Réouven vivent dans la maison que leur père a bâtie de ses mains. Beer, Shaked, Eytan Haim, Sinai. Le plus jeune a trois ans. L’un d’eux a demandé à sa mère si dans le ciel, il y avait la nuit, pour que papa puisse dormir. Un autre lui a dit : « Dommage que papa n’ait pas pris son téléphone, on aurait pu lui parler. »
Ce ne sont pas des phrases d’enfants comme les autres. Ce sont des questions d’orphelins. Mais la manière dont Tsofiya leur parle de leur père fait d’eux des enfants debout. Elle leur dit : « Si papa était resté avec nous, il n’aurait pas été lui-même. Il était courageux. Il a fait ce qu’il devait faire. Et maintenant, sa bravoure est en vous. »
Ce soir, en l’écoutant, j’ai eu honte de mes petits problèmes. J’ai aussi compris pourquoi je suis ici. Parce qu’en Israël, la vie est un miracle, chaque jour. Et ceux qui la défendent ne sont pas seulement des soldats. Ce sont des pères, des maris, des bâtisseurs, des amoureux de la vie.
Réouven n’a pas couru vers la mort. Il a couru vers la vie des autres.
On dit que ceux qui sauvent une vie, sauvent un monde entier. Je crois que Réouven a sauvé plusieurs mondes.
Il n’a pas eu le temps de voir tous les fruits de son sacrifice. Mais il les a semés. Dans la dignité de sa femme. Dans la fierté de ses parents. Dans les larmes contenues de sa tante. Et dans les voix de jeunes filles comme moi, qui continueront à parler de lui, longtemps après que les projecteurs se seront éteints.
Je n’oublierai jamais ce nom. Réouven Chicheportiche. Héros d’Israël.
Qu’il repose en paix, et que sa mémoire soit une bénédiction vivante pour tout le peuple d’Israël.