TÉMOIGNAGE DE MICHEL GURFINKIEL

Zikaron basalon

"TÉMOIGNAGE DE MICHEL GURFINKIEL"

SOUS LA PLUME DE DVORAH MADELEINE Yom Hashoah 2022

« Quand serons-nous à la hauteur des actes de nos pères, Avraham, Yitzhak, Yaakov ? » dit le Midrash. C’est cette question que le témoignage de M. Michel Gurfinkiel me rappelle. Car j’ai eu l’honneur de participer au récit de la vie de ses parents, accompagné par sa fille Eliana Gurfinkiel Kutschenko, lors de Yom HaShoah chez notre Rav, Avraham Lemmel. Un regard croisé sur l’histoire de son père Hayim Yehoshoua, qui eut la force hors du commun de survivre 3 ans à Auschwitz, le parcours de sa mère Léa et celui de ses demi-frères, cachés pendant la guerre. Au fil de son témoignage, M. Gurfinkiel déconstruisait plusieurs idées reçues sur la Shoah, avec lesquelles j’ai grandi. Malheureusement, je pense que ces formules ne vous seront pas étrangères, tant elles ont le vent en poupe. Je vous donne donc un extrait de ce Zikaron Basalon, avec 5 idées reçues confrontées à la réalité de son témoignage.

#1 Les Juifs exagèrent, vous n’étiez pas les seules victimes d’Auschwitz !

Dans leur grande majorité, les détenus du camp d’Auschwitz sont des Juifs. Seuls quelques convois marginaux sont constitués de prisonniers politiques et d’autres victimes. Les détenus comprennent rapidement le terrible mécanisme qui s’y applique ; les femmes et les enfants sont envoyés en chambre à gaz peu de temps après leur arrivée. Les hommes sont quant à eux utilisés comme main-d’œuvre, puissent-ils y survivre. 

Certains ne survivront pas à la compréhension de ce système et, si c’est souvent la mortalité liée à la dureté du travail qui est célèbre, Michel Gurfinkiel nous rappelle que c’est aussi l’effondrement psychique qui emporte. Beaucoup de détenus n’ont pas survécu après avoir réalisé que leurs femmes et enfants avaient certainement péri à quelques mètres de l’endroit où ils se trouvaient eux-mêmes… 

Ceux qui survivent développent des mécanismes de protection psychologiques, d’évasion intérieure. Le père de Michel Gurfinkiel décrit une sensation qui l’enveloppe durant cette période : il se sent comme dans de l’”ouate”.

#2 Et où était D. dans les camps ?

Hayim Yehoshoua Gurfinkiel décrira à son fils la précision avec laquelle les Juifs ont gardé leur calendrier, et ce pendant toutes les années de sa détention. Certains assuraient l’office des prières quotidiennes, ne manquaient pas certaines dates comme Yom Kippour, risquant les brimades et le meurtre. Malgré le fardeau qui les accablait et les principes thoraïques qui leur permettaient de s’en distancer à bon droit, la majorité des détenus ont fait le choix héroïque du jeûne à Kippour, affrontant tous les risques et les peines que cela impliquait.

#3 Les Juifs avaient perdu toute humanité dans les camps – il ne s’agissait que de survivre !

Lorsque le père de Michel Gurfinkiel, couturier de profession, est un jour appelé par un « kapo » (responsable du camp, sélectionné par les nazis en fonction de leur aptitude à la brutalité et à la barbarie), celui-ci lui demande de réaliser des travaux de couture pour des officiers du camp. Il ne se doute pas que ce sera l’occasion inespérée de recevoir du pain et de la viande. Sur le chemin du retour à sa baraque, une fois ces missions achevées, il longe le campement des femmes d’où s’échappe des cris de supplication « rakhmouness rakhmounes » en yiddish. Il a alors la force de se cacher pour leur donner la moitié de ce bien si précieux. Comme les plus grands du peuple d’Israël, Hayim Yehoshoua Gurfinkiel dépassera son héroïsme par son humilité, gardant cette histoire secrète jusqu’à sa mort. Une survivante d’Auschwitz témoignera de cet acte qui contribua à sa survie.

#4 Finalement, les Juifs se sont abandonnés à leur sort !

Une mobilisation juive pour les enfants s’organise avec les éclaireurs (association scoute juive), qui mettent en place une stratégie de protection pour permettre aux enfants de se cacher chez des familles françaises à la campagne. Ces familles sont alors indemnisées par l’organisation. Il faut alors se démener pour apporter des fonds car le transport d’argent est difficile et souvent interdit depuis l’étranger. C’est ainsi que les demi-frères de Michel Gurfinkiel seront cachés et sauvés. Au lendemain de la guerre, ces enfants sont invités sur ces lieux à des commémorations officielles, où des films à la gloire d’une France supposément résistante seront visionnés.

#5 On ne savait pas !

C’est certainement l’idée reçue la plus plaidée : l’idée selon laquelle il est de mauvais goût d’évoquer une histoire culpabilisante alors que, selon les dires, « on ne savait pas ». Au sortir de la guerre, Michel Gurfinkiel constate que le sujet de la Shoah, qui ne porte pas encore ce nom, est connu. Pour preuve, le livre Les Eaux mêlées de Roger Ikor, publié le 18 mars 1955, recoit le prix Goncourt peu de temps après la libération des camps. Ce livre détaille avec précision les conditions de détention. Il y a eut d’autres ouvrages de ce type. Alors, qui ignore ?

Cet événement nous engage. Puissions-nous être à la hauteur de nos pères, de ces héros, car ce crime, contrairement à ce que certains se plaisent à dire, n’a rien de comparable aux autres. Il est unique dans son horreur et dans le sadisme avec lequel il a été réalisé. Grâce à Monsieur Gurfinkiel, je m’en rappelle et je vous l’ai écrit.

Si vous voulez en savoir plus :

Pour ceux qui voudraient approfondir, il existe un livre

Michel Gurfinkiel, Un devoir de mémoire Ed. Alphée, 2008